Vêpres de Monteverdi – Plain-chant

L’art de l’ornementation

Chant Byzantin, Plain Chant Renaissance, Chant Corse

Dans l’acte du chant, tel qu’il apparaît dans les musiques de la Renaissance, les durées et l’ornementation font partie d’une même réalité, il s’agit en fait d’aspects différents d’un même processus. Une durée n’est pas un phénomène statique mais l’expression d’un dynamisme interne à la production du son par la voix. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la véritable nature des ornements. Ils sont, en définitive, l’expression extériorisée de ce mouvement intérieur qui sous-tend toute durée, qui frémit constamment à l’intérieur de l’interprète et qui à certains moments, lorsque la pression interne se fait trop forte, jaillit à l’extérieur pour souligner et mettre en valeur les méandres du discours musical. Ce jaillissement on l’appelait la fleur harmonique. Harmonique, car ce jaillissement se manifeste à l’intérieur des proportions de durées qui façonnent le déploiement mélodique. Fleur, car ces ornements constituent la beauté du chant, l’aboutissement du flux substantiel – la sève pneumatique – qui irrigue l’acte cantoral, fleur également car l’ornement féconde le chant et porte en lui la graine qui fait de l’interprète l’artisan d’un acte créateur.

Pour illustrer ce phénomène, l’ensemble Organum propose un programme qui présente différents éléments qui constituent la base de l’art de l’ornementation – la lecture des textes sacrés, la psalmodie ornée, la polyphonie – aux travers de trois grands répertoires qui nous révèlent la permanence de ce phénomène : Le chant byzantin, le chant ecclésiastique latin des XVe et XVIe siècles et le chant corse de tradition orale.

Ainsi, c’est une nouvel aspect du XVIe siècle qui se révèle, en relation avec tout ce qui a précédé et ce qui lui était contemporain mais qui aujourd’hui est absent de notre imaginaire « Renaissance » : Le chant Byzantin, le chant ecclésiastique monodique et les polyphonies apparentées au genre du « faux-bourdon » dont le chant corse est un témoignage vivant.

L’ornement est ce qui exprime le savoir-faire et donc la légitimité d’un chantre. Car l’ornement, est avant tout au service du texte, dont il met en relief les incises, les périodes. Il permet de souligner les articulations syllabiques en attirant l’attention des auditeurs sur les sonorités complexes des mots : les diphtongues, les liquescences, la percussion de certaines consonnes importantes pour la compréhension du mot. L’art de l’ornementation, dûment maîtrisé, ouvre les esprits aux multiples résonances du texte qui est proféré, car chaque mot est ciselé, sculpté comme peut l’être une pierre précieuse dans laquelle chaque entaille, en reflétant les rayons qu’elle reçoit, projette les scintillements de la lumière.

Marcel Pérès, « Les voix du plain-chant » ; Desclée de Brouwer 2001