Chant Vieux Romain

Le chant Vieux romain occupe une position centrale dans l’histoire de la musique religieuse.

Il est la clé de voûte qui donne sens, cohérence et existence à l’édifice de ce qui devrait être la conscience musicale de l’Europe occidentale, et bien au-delà.

Car, en amont, il nous livre la clé de la filiation entre le chant du Temple de Jérusalem et l’héritage de la musique grecque. En aval, il nous permet de suivre et de comprendre les trésors de la cantillation coranique. En dehors de certains cercles musicologiques extrêmement restreints, ce répertoire est aujourd’hui inconnu des musiciens, des ecclésiastiques et du public. Pourtant il nous livre la plus ancienne version de la musique gréco-latine de l’antiquité tardive et représente le chaînon manquant entre le chant byzantin, le chant copte, le chant syriaque, la musique arabe et la musique occidentale.

Jusqu’au XIIIe siècle ce répertoire accompagnait à Rome les liturgies pontificales. L’installation de la papauté en Avignon lui fut fatale, et il tomba dans l’oubli. Redécouvert au début du XXe siècle, il n’a toujours pas trouvé la place essentielle qui devrait être la sienne dans l’imaginaire de l’homme occidental et dans celui de toutes les civilisations qui découlent des mêmes origines sémitiques et grecques. Une connaissance réelle de cette musique restituerait dans une toute autre perspective l’héritage commun des religions musulmane, juive et chrétienne. Aujourd’hui,  le chant vieux romain demeure encore le grand absent de toutes les réflexions sur la musique religieuse, l’œcuménisme  et les relations avec l’Islam.

Quatre dates nous font saisir la lenteur de la prise de conscience de l’importance de cette musique

– Autour de 1900, découverte à Rome de quatre manuscrits de vieux romain.
– 1950 – 1960, premières études sur la liturgie dont ces manuscrits sont l’expression.
– 1960 – 1970, premières études sur la musique de ces manuscrits.
– 1985, premier disque de l’ensemble Organum sur le vieux romain.

En 2006, à part l’ensemble Organum, personne ne s’est vraiment consacré à étudier l’interprétation musicale de cette musique.

Quelques repères historiques

Le répertoire vieux romain était le chant des liturgies pontificales à Saint Pierre et dans les grandes basiliques romaines du VIIe siècle jusqu’à la fin du XIIIe siècle. Le caractère grandiose des offices romains avait fortement impressionné Saint Chrodegang lors d’un voyage à Rome vers 750. A son retour il devint un propagandiste inconditionnel de la liturgie et du chant romain et réussit à convaincre Pépin le bref. Charlemagne, à son tour sera subjugué par la force et la profondeur de la tradition romaine et mit tout en oeuvre pour répandre dans les contrées du Nord la liturgie de Rome

Aux yeux des carolingiens, le chant de Rome était le monument musical le mieux conservé de  l’antiquité gréco-latine avec laquelle ils voulaient de toute force renouer. Des réformes successives et un certain métissage avec les anciennes traditions gallicanes aux cours des IXe et Xe siècles eurent pour effet de transformer l’ancien chant romain et aboutit à la constitution d’un nouveau dialecte que l’on nomma “chant grégorien”. Ce chant se répandit dans l’empire d’Occident et revint à Rome vers la fin du XIe siècle où il prit progressivement la place de l’antique répertoire dont il était issu.

Tout comme le chant milanais et le chant bénéventain, les deux autres plus anciens répertoires latins auxquels nous ayons accès, le chant vieux-romain se situe à la charnière de la musique de l’antiquité gréco-latine et du Moyen Age; son étude permet également d’appréhender certains processus d’évolution qui aboutirent à la formation du répertoire byzantin.

Par certains côtés, le chant vieux-romain se présente comme un témoin direct du vieux chant byzantin. Ainsi, les versets alléluiatiques grecs, conservés dans le manuscrit lat. 5319 de la bibliothèque vaticane seraient les témoins directs de l’usage de l’alléluia tel qu’il se pratiquait à Byzance au VIIIe siècle.

Ce répertoire fut pratiqué jusque vers la fin du XIIIe siècle. Il disparu avec l’installation de la papauté en Avignon, et sa trace se perd au début du XIVe siècle où il finit par être supplanté par le chant aujourd’hui appelé grégorien. L’esthétique du chant vieux-romain ne correspondait plus aux préoccupations de l’Église des XIVe et XVe siècles, il était le vestige d’un temps révolu où les Églises d’Orient et d’Occident communiaient dans une même unité culturelle et spirituelle. Le grégorien s’affirma alors comme la forme la plus adéquate pour exprimer les nouveaux enjeux de civilisation auxquels s’identifia la papauté.

Le vieux répertoire romain, tombé dans l’oubli, ne fut découvert qu’au commencement du XXe siècle. Il suscita peu d’enthousiasme chez les musiciens, et ne commença à être vraiment étudié, sous l’angle liturgique puis musicologique, qu’à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle.

Marcel Pérès

Marcel Pérès x SCMC

Concert de chant vieux-romain de Marcel Pérès et la Schola Cantorum Minorum Chosoviensis à Chorzów en Pologne – 14.05.2015